Agence ECOFIN : « C’est la perte de confiance en la parole de l’Etat qui fait fuir les investisseurs, pas les réformes » (Me Charles BOURGEOIS)
(Ecofin Hebdo) – Désireux de profiter de la reprise des cours des matières premières, plusieurs gouvernements africains (Afrique du Sud, RDC, Tanzanie, Mali, Mauritanie…) ont lancé un processus de révision de leurs codes miniers. Si leur but est de tirer davantage de revenus de l’exploitation des richesses de leurs sous-sols, les Etats se heurtent pour la plupart aux compagnies minières qui entendent protéger leurs investissements et leurs acquis. Charles Bourgeois, avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit minier, s’entretient avec l’Agence Ecofin sur la « règle du jeu » en matière de législation minière.
Agence Ecofin : On observe depuis quelques mois une vague de révision de codes miniers en Afrique (Afrique du Sud, RDC, Tanzanie, Zambie), comment expliquez-vous cela ?
Charles Bourgeois : Depuis le début des années 2000, et l’avènement de ce que l’on a appelé le super-cycle des matières premières, de nombreux Etats africains ont cherché à modifier leurs législations minières, d’inspirations libérales, afin de répondre aux trois objectifs que sont : augmenter les revenus de l’Etat, augmenter la « part locale » des investissements miniers et mieux réglementer les questions socio-environnementales. Ces grandes thématiques se retrouvent dans la majorité des réformes en cours sur le continent africain et elles correspondent à l’intérêt de l’Etat dans la gestion de ses ressources minérales.
AE : Pourquoi les Etats ont-ils attendu des années avant d’entamer ces processus de révision ?
CB : Je voudrais tout d’abord dissiper une image peut-être un peu trop répandue – celle de codes miniers africains poussiéreux et hérités de l’époque postcoloniale – en rappelant que depuis les années soixante, plusieurs générations de codes miniers se sont succédé dans de nombreux pays africains.
« Je voudrais tout d’abord dissiper une image peut-être un peu trop répandue – celle de codes miniers africains poussiéreux et hérités de l’époque postcoloniale – en rappelant que depuis les années soixante, plusieurs générations de codes miniers se sont succédé dans de nombreux pays africains. »
Ainsi, et si vous mettez en parallèle la durée de vie d’une mine (pouvant dépasser les trente ans) et la cadence de ces réformes (parfois une tous les dix ans), vous vous apercevrez qu’une même mine peut être amenée à connaître deux ou trois législations minières différentes pendant toute la durée de son exploitation. Pour répondre plus précisément à votre question, je dirais que le timing des révisions en cours s’explique largement compte tenu de la récente reprise des marchés mondiaux pour certaines matières premières et par la volonté des Etats africains de profiter de ce moment afin d’obtenir une meilleure redistribution de leurs ressources.
AE : En se basant sur la définition même du concept « code minier », les Etats peuvent-ils le changer de manière unilatérale ?
CB : Les réformes minières sont menées – en Afrique comme ailleurs – sur un rapport de force entre l’intérêt de l’Etat et celui du minier. Et dans ce rapport de force, l’Etat a le droit, en tant que puissance régalienne, de modifier unilatéralement les règles du jeu.
Toutefois, l’une des premières garanties que regarde tout investisseur dans une législation minière est l’assurance que son titre minier ne lui sera pas illégitimement retiré et que les termes de sa convention minière ne seront pas remis en cause unilatéralement par l’Etat pendant sa durée de validité. Si les législations minières peuvent bien entendu être réformées, la durée de vie généralement longue des mines et l’importance considérable des investissements consentis exigent a minima que les dispositions du nouveau code ne s’appliquent qu’aux « nouveaux arrivants » et non à ceux qui ont déjà investi sur la base d’un ancien texte dont les dispositions ont motivé leur décision d’investissement.
« Si les législations minières peuvent bien entendu être réformées, la durée de vie généralement longue des mines et l’importance considérable des investissements consentis exigent a minima que les dispositions du nouveau code ne s’appliquent qu’aux nouveaux arrivants »
C’est la raison pour laquelle, le respect par les Etats africains des clauses de stabilisation négociées lors de la signature des différentes conventions minières me semble être une limite à ne pas franchir. Ces clauses de stabilisation, qui peuvent par exemple porter sur des aménagements fiscaux et douaniers, protègent l’investisseur contre d’éventuelles modifications de la loi.
AE : Les révisions des codes miniers peuvent-elles vraiment faire fuir les investisseurs étrangers comme le craignent certains observateurs ?
CB : Je ne le pense pas, tant que les Etats respectent « la règle du jeu minier » à savoir (i) garantir à l’investisseur étranger que son titre minier ne lui sera pas illégitimement retiré et (ii) que les termes de sa convention minière ne seront pas remis en cause unilatéralement par l’Etat pendant sa durée. Cela parait simple, mais c’est fondamental : c’est la perte de la confiance en la parole de l’Etat qui fait fuir les investisseurs, pas les réformes. L’industrie minière est d’ailleurs elle-même parfaitement consciente que la réussite d’un investissement sur le long terme nécessite un accord qui soit « gagnant-gagnant » avec les différents acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux.
Il me semble dans ce sens important de rappeler qu’un certain nombre des récentes réformes des codes miniers ont parfois même été devancées par l’industrie minière elle-même, notamment concernant les questions socio-environnementales. Par exemple, ce sont les compagnies minières qui, de leur propre chef, ont commencé par abonder en fonds pour la reconstruction des sites après l’exploitation. Avant que les actions sociales ne deviennent obligatoires, les sociétés, conscientes des attentes des populations et désireuses d’éviter toute mésentente avec elles, levaient des fonds pour la construction d’écoles et d’hôpitaux, etc.
AE : Dans certains pays, les compagnies, face à la détermination de l’Etat d’aller au bout de ses réformes, décident d’intenter des actions en justice. Peuvent-elles obtenir gain de cause sur le plan juridique ?
CB : Vous devez faire référence aux cas où une nouvelle loi ou réglementation viendrait à remettre en cause les dispositions d’une convention minière négociée avec l’Etat sous l’empire d’un précédent code minier. Il faut ici distinguer les réformes des codes miniers concernant les droits humains et environnementaux qui semblent être d’application immédiate, quelles que soient les dispositions contraires des conventions minières, des dispositions économiques qui sont, elles, protégées par les clauses de stabilisation.
« Il faut ici distinguer les réformes des codes miniers concernant les droits humains et environnementaux qui semblent être d’application immédiate, quelles que soient les dispositions contraires des conventions minières, des dispositions économiques qui sont, elles, protégées par les clauses de stabilisation. »
Derrière le débat juridique pouvant se poser sur cette dernière question, il est important de rappeler que les Etats ont beaucoup à perdre sur le long terme en ne respectant pas les clauses de stabilisation précédemment négociées dans les conventions minières.
AE : Comment voyez-vous le rapport de force autour des ressources naturelles en Afrique ? A qui profite-t-il à l’heure actuelle ? Etes-vous de l’avis de ceux qui parlent de rapport inéquitable ?
CB : L’Afrique a pris de l’avance et s’est renforcée ces dernières années, en harmonisant par exemple de plus en plus ses législations minières, et ce afin d’apporter une réponse commune aux nouveaux défis sociaux et environnementaux que rencontre l’industrie minière dans le monde. L’initiative la plus significative à l’échelle du continent étant probablement l’adoption en 2009 par l’Union africaine de la Vision pour l’industrie minière en Afrique, dont l’objectif principal est d’encourager une « exploitation transparente, équitable et optimale des ressources minérales pour soutenir une croissance durable à base élargie et le développement socio-économique ». En ayant une vision commune des politiques minières à mener sur les décennies à venir, les pays africains sont désormais dans une meilleure position afin de pouvoir continuer d’attirer les investisseurs miniers du monde entier tout en négociant des accords favorables à leurs économies et leurs populations. Je ne sais pas si l’on peut parler de rapport « inéquitable » entre investisseurs miniers d’un côté et Etats africains de l’autre. Chacun défend ses intérêts, même si nous avons précédemment vu que ces intérêts sont souvent liés. Pourtant la référence à ce qui est « équitable et juste » dans l’industrie minière, viendra à l’avenir, et selon toute vraisemblance, du consommateur final des produits miniers.
« Pourtant la référence à ce qui est « équitable et juste » dans l’industrie minière, viendra à l’avenir, et selon toute vraisemblance, du consommateur final des produits miniers. »
C’est en effet, selon moi, le consommateur qui arbitrera à l’avenir les politiques publiques en matière minière et les différents rapports de force entre sociétés minières et Etats.
AE : L’environnement minier africain est vu comme très difficile pour les investisseurs, tant sur le plan politique que juridique. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?
CB : La perception de l’Afrique par les investisseurs miniers est radicalement différente selon les Etats et il me semble important de souligner que des pays comme le Ghana, le Mali ou encore le Botswana prennent régulièrement le haut des classements internationaux en la matière. Si l’Afrique est une terre d’opportunités pour les investisseurs miniers, compte tenu de l’importance de ses ressources naturelles – encore très largement inexplorées – l’expérience montre que beaucoup d’investisseurs n’anticipent pas assez les difficultés à venir et ne cherchent pas à comprendre l’environnement politique et juridique dans lequel ils évoluent. C’est pourtant fondamental. La diversité des systèmes juridiques (common law – droit romain – droit coutumier etc.) et la complexité des structures socio-économiques sur le continent africain sont des éléments qui doivent être compris et intégrés en amont de la décision d’investissement. Et puis chaque époque a ses lieux communs – l’environnement minier africain est perçu aujourd’hui comme très difficile –, mais sur quel continent est-il désormais facile d’exploiter les ressources minières avec l’impunité d’antan ?
« Il suffit de regarder par exemple les oppositions en cours sur le projet aurifère en Guyane française pour comprendre que dans de nombreux pays – africains ou non – l’activité minière suscite de fortes tensions avec les gouvernements et les populations locales.»
Il suffit de regarder par exemple les oppositions en cours sur le projet aurifère en Guyane française pour comprendre que dans de nombreux pays – africains ou non – l’activité minière suscite de fortes tensions avec les gouvernements et les populations locales ; ce qui demande une concertation toujours plus renforcée entre les différents acteurs des projets miniers.
Propos recueillis par Louis-Nino Kansoun